Nous lui devons des réalisations majeures : le musée d’Art islamique de Doha, le siège de Google à Londres, l’aile Richelieu du Louvre… Plus proche d’ici, il a aussi rhabillé la place de la Libération de Dijon en 2006. D’abord architecte d’intérieur, Jean-Michel Wilmotte façonne et refaçonne les villes depuis maintenant plus de 40 ans. Avant-gardiste dans l’âme, il nous révèle ses visions prospectives sur la ville du futur.
Monsieur en Bourgogne. En juillet 2006, vous avez donné un nouveau visage à la place de la Libération de Dijon. Quel souvenir gardez-vous de ce projet ?
Jean-Michel Wilmotte. C’est un souvenir étonnant parce qu’un jour, le maire m’a demandé ce que je pensais de cette place avec toutes ses voitures. Je lui ai alors fait une petite esquisse pour lui donner ma vision des choses, montrant que je souhaitais prolonger chacune des rues par une trace d’eau et dégager toute la place pour la rendre aux piétons et aux terrasses de café. Les services techniques ont pris le dossier en main d’une manière très efficace et ont réalisé l’esquisse que j’avais proposée. Je pense que cela a vraiment été un point de départ pour une plus grande piétonnisation de la ville.
Dijon a bien évolué depuis. Que pensez-vous de la ville aujourd’hui ?
Je suis très agréablement surpris par l’évolution du tissu urbain dijonnais. Généralement, les nouvelles constructions sont de belles architectures, bien pensées, de qualité, sans être pharaoniques. Très souvent, on construit n’importe quoi à la sortie des villes, comme des logements d’urgence. Au contraire, j’ai l’impression qu’à Dijon, il y a un certain respect des hauteurs de bâtiments, et même une élégance dans le choix des architectures.
Pour vous, à quoi ressemblera la ville du futur ?
Il y a plusieurs choses qui vont évoluer selon moi : tout d’abord, les transports vont totalement changer la silhouette et l’esprit des villes. Cela va créer des échelles différentes dans les circulations, les implantations de parkings ou de gares. Ensuite, vous n’êtes pas sans savoir que l’isolation reste le meilleur moyen de faire des économies d’énergie. Avec la hausse des prix dans ce domaine, cela risque de faire évoluer les silhouettes des nouveaux bâtis, de la couleur des ravalements à l’entretien des toitures, de la dimension des ouvertures aux changements des épaisseurs. Aujourd’hui, on parvient presque à faire des habitations sans chauffage ni climatisation, à condition qu’elles soient bien isolées. Enfin je pense qu’à l’avenir, il y aura un meilleur équilibre entre le bâti et le végétal.
« La végétalisation doit servir pour un confort de vie à la fois pratique et visuel «
Donc selon vous, la ville du futur implique une plus grande végétalisation ?
Oui, c’est vraiment très important, et même plus que nécessaire. Il faut savoir que plus on met de végétal, plus on améliore l’oxygénation de l’environnement. Il y a aussi quelque chose dont on ne parle pas beaucoup, c’est l’acoustique. Le meilleur moyen de lutter contre les nuisances sonores, c’est de végétaliser les villes. Cela doit servir pour un confort de vie à la fois pratique et visuel. Les arbres amènent de l’ombre, de la fraîcheur et de la beauté. Le tout est de rester dans une démarche contextuelle, c’est-à-dire d’utiliser des matériaux et des végétaux du coin. Qu’on ne fasse pas à Toulouse ce que l’on fait à Tourcoing.
Est-ce que la manière de penser nos habitations et nos espaces de travail va changer ?
Le changement climatique et les pandémies vont et ont déjà modifié nos façons de vivre dans nos logements. Nous allons sûrement arriver à une dimension d’appartement plus grande avec une pièce entière destinée au télétravail. Les entreprises pourraient même participer au financement d’espaces de télétravail. D’un autre côté, cela va aussi changer la façon de penser les bureaux. Il va falloir créer des espaces encore plus chaleureux pour donner une sensation de « comme à la maison « . Il y a une vingtaine d’années, nous avons créé le concept d’architecture d’intérieur des villes. On parle aussi d’un urbanisme d’acupuncture. Notre travail est une analyse de la ville en tant que lieu d’habitation commun à ses usagers. C’est une maison. Les rues sont ses pièces, les façades des bâtiments ses murs. Les places et les carrefours sont des seuils…
Faut-il, pour l’avenir, freiner ou accélérer la croissance des villes ?
Je ne vais pas vous dire qu’il faut la freiner, mais je pense que la croissance doit d’abord se faire en interne en réhabilitant le cœur des villes. Le changement d’usage est une vraie démarche. Plutôt que d’aller construire une cité de la gastronomie à 15 kilomètres du centre- ville, c’était intelligent de réhabiliter un ancien hôpital en friche. La première chose que les maires devraient faire, c’est de répertorier tout le volume non-utilisé dans une ville.
« Une ville réussie sera celle qui aura la plus grande mixité entre bureaux, commerces et habitations »
Quel est le plus grand défi que les maires et les architectes doivent relever ensemble pour construire les villes du futur ?
Selon moi, une ville réussie sera celle qui aura la plus grande mixité entre bureaux, commerces et habitations. Il faut que la ville reste toujours en vie, sans que des quartiers entiers ne s’éteignent car ils ne seraient composés que de bureaux par exemple. Mais le plus grand défi sera de régler le problème énergétique et de se préparer au réchauffement climatique. Il n’y a qu’un seul objectif à avoir pour l’avenir : le bien vivre de chacun.
Wilmotte & Associés – www.wilmotte.fr