Feuilleton 2/3
Comment Dijon, certes réputée pour sa moutarde ou sa crème de cassis, a-t-elle réussi à s’imposer comme un porte-étendard de la gastronomie française, alors qu’elle la jouait plutôt petits bras face à Lyon par exemple, qui se remet non sans mal de l’échec de sa cité de la gastronomie ?
Comment Dijon, qui avait purement et simplement oublié sa riche histoire viticole, a-t-elle réussi à revenir dans le game et à s’imposer comme une ville de vin – sans faire d’ombre à Beaune, ce serait dommage de se tirer la bourre entre villes du même terroir ? La Cité internationale de la gastronomie et du vin prend en tout cas des allures de baroud d’honneur pour une ville qui avait eu tendance, depuis quelques décennies, à jouer la modestie mais qui se sent de taille, aujourd’hui, à se positionner comme un véritable phare de la gastronomie et de la viticulture françaises. Les ingrédients de ce retour en scène sont nombreux.
Il y a d’abord une vraie émulation dans le monde des cuisiniers, qui veulent s’installer à Dijon aujourd’hui. On rappellera l’arrivée de Jérôme Brochot, l’étoilé de Montceau-les-Mines que la crise sanitaire a malheureusement obligé à fermer son joli restaurant des halles. On se souviendra aussi du choix de Dominique Loiseau de créer une adresse de son groupe prestigieux dans le quartier de l’hôtel de ville. On prêtera attention à l’arrivée de chefs japonais de haut vol, Keigo Kimura (L’Aspérule) et Tomofumi Uchimura (Origine, ex-Stéphane Derbord). On suivra de près la carrière express de celui qui fut le plus jeune étoilé de France quand il tenait la Maison des cariatides – Angelo Ferrigno, qui a ouvert son Cibo, et là mieux vaut s’y prendre avec quelques semaines d’avance pour espérer obtenir une place. Et puis toutes ces belles tables qui ont ouvert en ville, qui se nomment Le Parapluie, L’Essentiel, L’un des sens, L’Évidence et tant d’autres… Bref, la cuisine dijonnaise se renouvelle, elle fourmille d’idées, de visages nouveaux, de projets enthousiasmants. On n’avait probablement jamais vu ça.
« Donner un avenir à notre histoire »
Il faut dire que le fond de sauce y était. La grande tradition culinaire incarnée par la foire, qui vient de fêter son centenaire, les belles fabriques de pain d’épices, de crème de cassis et de moutarde, l’épais livre de recettes bourguignonnes… tout cela est bien connu. Mais il fallait, pour reprendre l’expression chère à François Rebsamen, « donner un avenir à notre histoire ». Par exemple, penser l’alimentation de demain, en tenant compte des attentes de notre époque, notamment environnementales. Alors un écosystème s’est organisé, autour des entreprises agroalimentaires, des laboratoires –en particulier ceux de l’Institut national de recherche en agronomie, alimentation et environnement (Inrae) qui possède à Dijon l’un de ses centres les plus importants– et des établissements d’enseignement supérieur, au premier rang desquels AgroSup Dijon.
Le pôle de compétitivité Vitagora, le technopôle AgrOnov à Bretenière, la FoodTech Dijon Bourgogne-Franche-Comté ont émergé. Cerise sur le gâteau, un ambitieux programme public implique tous ces acteurs : il vise à créer à Dijon « un système alimentaire durable à l’horizon 2030 », en associant les producteurs agricoles du territoire. Le projet est tellement pertinent qu’il décroche la labellisation « Territoire d’innovation de grande ambition » de l’État. Dans le domaine viticole, c’est un peu le même processus qui est à l’œuvre. Sauf qu’en la matière, Dijon revient de loin. Les vignes qui s’étendaient jusqu’au XIX e siècle sur une large partie du territoire communal n’avaient résisté ni au phylloxera ni à l’urbanisation, on avait donc littéralement enterré des siècles de tradition viticole de grande qualité.
Alors Dijon métropole a inversé le cours de l’histoire en replantant des vignes. Sur le plateau de La Cras, sur des sites comme les Écayennes, à la Rente Giron, et bientôt ailleurs – au total, 300 hectares sont fléchés. L’ambition ultime est d’obtenir de l’Institut des appellations et de l’origine (Inao) la création d’une dénomination géographique complémentaire, « bourgogne dijon ». En attendant, à l’instar des restaurants, les bars et les caves à vins ont pris leurs aises dans la ville. Quoi de plus tendance que de commander, en guise de dîner, un verre de Bourgogne et une planche de charcuterie ou de fromage ?
Dijon célèbre désormais le vin de Bourgogne, comme Beaune à qui elle avait laissé le champ libre alors que les deux villes, stratégiquement situées aux deux extrémités de la Route des grands crus, ont légitimité, l’une comme l’autre, à défendre les couleurs blanches et rouges de la Côte. D’ailleurs, les deux villes, par l’entremise de leurs maires respectifs, surent porter ensemble le projet d’inscription des Climats à l’Unesco. Il reste aujourd’hui à faire en sorte que la Cité internationale de la gastronomie et du vin de Dijon et la Cité des vins de Beaune coopèrent, pour le bien des grands bourgognes.
Pour lire plus d’articles cliquez ici Consulter nos magazines
A découvrir également sur nos réseaux sociaux :