Dans chaque numéro de Monsieur en Bourgogne, le Cerclecom, l’association des professionnels de la communication de Bourgogne-Franche-Comté, vous propose, sous la plume de l’un de ses 160 adhérents, un texte pour mieux comprendre les enjeux de la com. Florence Vachey, directrice conseil, planning stratégique & identité de marque chez JPM Partner, s’interroge sur le futur de la communication.
Tout d’abord honorée et amusée que ce sujet m’ait été proposé. Un sujet de prospectiviste à un moment où personne ne sait de quoi demain sera fait, c’est audacieux, et follement prétentieux ! Mais chiche, partons du principe que mon éclairage se situera au niveau de la bougie, et qu’il n’engage que ma vision, mon expérience et ma passion pour l’observation et la compréhension d’un monde qui bouge.
Alors, que dire …
En préambule, rappeler que le terme « communication » est un mot valise qui décrit aussi bien un vaste ensemble de métiers, structures (conseil, création, production) que de disciplines (communication média, digitale, publicitaire, institutionnelle, politique, stratégique, produit, territoriale, de crise, interne, externe, relations publiques, design global, et j’en oublie !). Quant à la mise en perspective, je propose d’abord une approche holistique, et promis, je ferai un effort de synthèse pour conclure.
Si l’on prend du recul, 2050, c’est dans un peu plus de 30 ans, soit environ une génération. Si les 30 années à venir – que l’on entame avec beaucoup d’incertitudes, de peurs et de remises en cause – sont aussi mouvementées que les 30 dernières années, relativement stables d’un point de vue économique et social dans nos sociétés occidentales, alors nous aurons beaucoup de surprises. Il faut se souvenir qu’il y a 30 ans, internet et les réseaux sociaux n’avaient pas encore envahi nos sphères personnelles et professionnelles. Les cinq grands médias qu’étaient la presse, la télévision, le cinéma, la radio et l’affichage captaient la quasitotalité des flux publicitaires, des audiences et des canaux. Le « hors média », désormais appelé « offline », était peu visible et investi par les professionnels de la communication d’une part, mais aussi par les annonceurs, c’est-à-dire les clients désireux de lancer une campagne. Dans 30 ans, les grands médias demeureront peu ou prou, mais il y a fort à parier que tout cela va tanguer, sur le fond comme sur la forme.
Prenons pour la forme quelques exemples, et notamment le cas de l’affichage. Observez les réactions récentes et véhémentes de nombreux détracteurs : les panneaux lumineux sont une gabegie, leur implantation massive une agression visuelle et un encouragement à sur consommer.
À l’heure de la sobriété, forcément cela interpelle ! Quant à la presse, d’aucuns diront que le papier est voué à mourir par l’effet combiné du digital et de la préservation des ressources (au passage on annonce sa fin depuis 20 ans, et Monsieur en Bourgogne est bien vivant ), mais là encore, le bilan de son impact environnemental est discutable, au regard des chiffres plutôt effrayants de la consommation énergétique requise par des serveurs toujours plus ogres pour répondre aux besoins digitaux et à la dématérialisation des données. En 2015, le streaming vidéo a capté 63 % du trafic web mondial, en 2022, les 80 % sont atteints. Je cite une étude du site indépendant notre-planete.info qui indique que le secteur du numérique est à l’origine de 3,7 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) dans le monde en 2018 et de 4,2 % de la consommation mondiale d’énergie primaire ; 44 % de cette empreinte serait due à la fabrication des terminaux, des centres informatiques et des réseaux et 56 % à leur utilisation. Dont acte.
Sur le fond, nous n’avons jamais autant accordé d’importance aux contenus (le « content » décliné à toutes les sauces : brand content, digital content…) parce que, sans eux et sur des marchés concurrentiels, la différenciation et la préférence de marque ne se font pas. Le contenu est plus qu’un moteur, c’est le carburant des marques, la nouvelle donne, la stratégie gagnante. Ce flux continu de messages, de visuels, de films a trouvé son canal de prédilection : le digital, un puits sans fond qui abreuve par écrans interposés des milliards d’individus connectés, addicts, fascinés par la puissante machinerie numérique. Et cette digitalisation qui se banalise dans nos vies va probablement s’amplifier, et nourrir les marques, producteurs et diffuseurs de contenus, mais aussi des métiers : créatifs, concepteurs rédacteurs, designers, réalisateurs.
Parallèlement vont s’amplifier les questionnements profonds sur le sens de ces usages, l’éthique des messages portés, les règles du vivre ensemble. Car la communication est indissociable du sociétal. Elle en est le miroir, à la fois la discipline de l’idée, du lien mais aussi de la rupture possible, et si, en 2022, nous sommes sur cette ligne de crête, en 2050 il faudra peut-être arbitrer davantage pour maintenir certains équilibres.
Nous sommes dans l’ère de l’anthropocène, c’est-à-dire le règne de l’humain sur le monde vivant et naturel, et nous comprenons de plus en plus ce que cela implique. Happés par notre société du divertissement et ses dérives, nous entrons aussi dans l’ère de la responsabilité, et la communication n’y échappe pas. Nous avons déjà changé de paradigme, on réalise (enfin) pleinement à quel point notre métier de communicant peut être polémique. Nous sommes au cœur des enjeux de notre époque : faire rêver, inciter, sans précipiter notre monde à sa fin. C’est parfois schizophrène ! En 2050, gageons que nous aurons totalement relevé le défi de faire cohabiter deux nécessités pour l’humanité : lui offrir du beau et un futur soutenable.
« Combiner réflexion, responsabilité et créativité pour dessiner l’avenir, c’est magnifique ! »
Et en ce sens, je pense (enfin je l’espère par passion et conviction) que l’une des disciplines de communication qui aura le plus à tirer profit des enjeux de demain sera le design, qu’il s’agisse de design industriel, d’usage ou de service : combiner réflexion, responsabilité et créativité pour dessiner l’avenir, c’est magnifique !
En synthèse, voici selon trois grands registres ce que je peux projeter de l’évolution de la communication d’ici à 2050 :
• Tout d’abord, la communication comme science humaine, moyen de langage, acte fondateur d’un échange : les fondamentaux ne changeront pas. Il faudra toujours transmettre une information ou un contenu d’un émetteur vers un récepteur, nous aurons toujours besoin de communiquer, de faire passer des messages, d’adresser des cibles. Audelà de la forme, physique ou dématérialisée, la question qui se posera sera la teneur, le champ, la profondeur, le ton employé pour s’exprimer, avec le pré-requis naturel et fondamental de préserver le droit à exprimer des idées, avec audace et respect. C’est un enjeu difficile pour demain !
• Le deuxième point est d’imaginer le futur de la communication en tant que filière, et là, je pense immédiatement à un article de 2019 paru en marge d’un forum de l’AACC (Association des agences conseils en communication), sous la signature de Madame Mercedes Erra, grande figure du monde publicitaire, qui s’inquiétait déjà des pratiques et du devenir du métier et des structures, de plus en plus concentrées et chahutées dans leur modèle économique. Législation, bonnes pratiques, taille et nature du marché, forme de travail, formations : tout bouge et va bouger dans les décennies à venir, et il faudra savoir s’adapter et tenir bon. La communication est une activité passionnante, mais surtout exigeante à tous niveaux, qui ne fait pas bon ménage avec l’amateurisme, c’est important de le rappeler.
• Enfin la technique, ou plutôt les techniques : communiquer demain, ce sera communiquer par et pour les technologies, intelligence artificielle (IA) comprise. Et au-delà des canaux qui vont s’affranchir de nombreux modèles actuels, c’est notre relation au monde et aux autres qu’il faudra interroger (lire notre encadré sur le metaverse).Toutefois, la communication ne se résumera pas aux canaux, à la technologie, au niveau d’équipement et d’acceptation des humains connectés. Elle sera omnicanale, vivace et engagée, pour ne pas dire responsable, parce que le monde est et sera ainsi, peuplé d’êtres désireux d’être informés, divertis, conquis par des marques, des causes et des projets en lesquels ils croient. Je forme le vœu que la communication de 2050 garde du sens, mais qu’elle reste créative, audacieuse, récréative, interactive et cultivée. La communication doit rester un plaisir, un espace stratégique et artistique dans lequel matières, images et mots se mêlent, pour atteindre le cœur et l’esprit. Vivement demain !
Et le metaverse dans tout ça ?
Loin d’en être une spécialiste, je constate l’intérêt incroyable que suscite ce monde parallèle pour les marques, notamment de luxe, qui ont compris depuis peu l’opportunité immense qu’elles pouvaient saisir à préempter ce nouvel eldorado marketing : se fabriquer un nouveau marché, parallèle à notre monde physique, avec de nouveaux codes, une liberté quasi-totale, auprès de nouveaux consommateurs du monde entier. Nous, enfin, notre double qui, pour les adeptes et à l’aide de cyber-monnaies, pourra s’offrir, investir dans une nouvelle vie via lunettes interposées ! Les investissements engagés sont déjà colossaux, alors en 2050… Nous verrons probablement fleurir des agences de communication virtuelles, des campagnes dédiées… De multiples talents créatifs pourront s’en donner à cœur joie. Demain, c’est déjà un peu aujourd’hui.